les petites chroniques

3 - On te décortique

On te décortique, on t’examine, on t’étudie sous toutes les coutures. L’agrément, c’est le chek up psychologique et social des couples post-FIV. On t’a déjà bien dévasté l’intérieur, maintenant, on attaque la colonisation de ton pauvre esprit torturé. Tu ne sais pas pourquoi il ne t’a pas été donné de porter un enfant, mais ce que tu sais, c’est que tu en veux un. Eh bien non, ce serait trop facile. On veut bien te faire miroiter l’idée qu’il en existe un quelque part pour toi, mais attention, avant, on épluche ! On épluche ton compte en banque, on se rencarde sur ton travail, on évalue ton esprit, ton cœur, ta santé.
Ca commence par le bilan médical

4 - Mon bilan médical

Un grand moment.
Nous débarquons, Julien et moi, tout propres sur nous, sourire de circonstance, chez un des médecins de la liste. (ben oui, on ne peut pas aller chez notre généraliste, des fois qu’il triche). Derrière un grand bureau très chic, un médecin immense nous offre un sourire carnassier. Je sens que Julien se rabougrit ; je me ratatine; y'a des moments où l'on se sent vraiment tout petit... et très seul!
« - Commençons par vous, Madame !
- d’accord, réponds-je d’une voix fluette que je ne me reconnais pas.
Je passe dans un cabinet attenant, et subis toute sorte de palpations, exercices, prise de pouls, tension et autre joyeuseté.
- Vous faites de la tension, d’habitude ?
- Non, jamais !
- Si, vous faites de la tension ! Il va falloir me surveiller ça
- Mais non, je vous…
- Il y a de la tension dans votre famille ?
- Oui, mes deux grands-mères et mon père
- Eh bien voilà, vous faites de la tension.
Tout ça sans rire, sans même me dire combien…
Je me rhabille, guettant sur moi les signes d’un éventuel accident vasculaire.
Ca me donne des palpitations, du coup.

5 - Le bilan médical de Julien

Au tour de Julien. Ils vont dans la petite pièce d’auscultation, pendant que je prends mon pouls pour voir si tout va bien.
« - Vous avez subi des opérations ?
- Oui, j’ai eu une sérieuse entorse du genou avec rupture des ligaments croisés, et j’ai déjà été opéré trois fois.
Je maudis Julien et sa sincérité, il n’était pas obligé de lui faire la liste de ses maux (parce que comme tout mec approchant de la quarantaine, y’en a un paquet !)
- Penchez-vous en avant, encore, encore… C’est tout ce que vous pouvez faire ?
- Aïe…
- Allez, un effort !
- Peux pas… (voix étouffée d'outre tombe)
- C’est bon, relevez-vous ! Vous avez un sérieux problème de dos !
- Non, c’est mon genou qui…
- Non, vous avez une lordose et une scoliose sérieuses. Vous risquez d’avoir de graves problèmes plus tard !
- Ah bon ?
Plus un mot.
J’imagine mon hypocondriaque de mari se voir en chaise roulante.
Ils reviennent tous les deux, Julien a une sale tête, s’assied délicatement sur sa chaise, le dos tout raide; je reprends en douce mon pouls sous la table.
Le médecin gribouille des phrases sur un papier, je tends mon oeil de lynx (pas trop pour éviter une poussée de tension), mais je ne peux rien lire!
« - Où en êtes-vous de la procédure ?
- Oh, tout au début, nous n’avons fait que le premier entretien !
- Eh bien vous n’êtes pas au bout de vos peines !
- Ah ? C’est si long que ça ?
- Des années ! Il vous faut être patient ! Ah au fait, la sécu ne prend pas en charge ces certificats ; ce sera 50 euros.Chacun. »
Vu le prix, j’espère qu’on est apte au service.
Mais ni Marc ni moi n’osons le demander.
« - Au revoir messieurs dames, et… bon courage, surtout ! »

6 - Mieux vaut en rire
Pas un mot dans l’escalier ! Ni sur le parking ! Julien s’imagine en chaise roulante. Moi avec des infarctus en série. Et puis de toutes façons, s’il faut attendre encore des années, on sera trop vieux pour adopter !
Mais dans la voiture, un flot nous submerge, avec un énorme bon vieux fou rire !